Les familles


Le désespoir des familles de Tulle

Force est de constater que malgré la cruauté et la barbarie des exactions commises les 7,8 et 9 juin 1944 à Tulle, ce drame est pudiquement désigné en Corrèze par «Les Évènements». On remarque cependant que le choc de «l’évènement» peut perturber les souvenirs, interdisant parfois de les évoquer aboutissant ainsi à un traumatisme. Si l’on considère qu’un traumatisme est l’obsession du passé dans le présent, il engendre une mémoire traumatique caractérisée par une mémoire immobile, figée, qui rend prisonnier du passé.

Il est incontestable qu’il y a, après le 9 juin à Tulle et plus généralement en Corrèze, une population traumatisée, ce qui va avoir pour conséquence, un silence étourdissant généré par plusieurs éléments.

Il y a d’abord un long silence de plus de 60 ans, de deuil et de compassion des familles directement touchées dans leur chair (maris, frères, pères, grand-pères, oncles…) conséquence de ces jours tragiques. (P1)

Janine Picard (membre de notre Comité) dont le père a été exécuté, l’exprime ainsi:

«Avec ma mère, je suis revenue à la maison. Beaucoup de nos voisins venaient d’apprendre la mort de leur mari, leur fils, ou leur petit fil. Toutes sanglotaient ou étaient prostrées, c’était terrible. Arrivée à la cuisine, ma mère s’effondra sur une chaise, et la tête dans les mains posées sur la table se mit à pleurer. C’était la première fois que je voyais pleurer maman et à mon tour j’éclatais en sanglots. Près de 80 ans après, tous ces souvenirs sont précis et douloureux comme au premier jour

Dans la plupart des familles c’est le silence qui prévaut.

Des ouvrages, des films et le travail entrepris par Peuple et Culture à Tulle (membre de notre Comité) début des années 2000, où comme en 2014 la projection de plusieurs films et vidéos diffusés sur France 5 et FR3 lors des cérémonies du 70e anniversaire, viendront rompre cette «chape de plomb».

01 Desespoir des familles 1951P1
Désespoir des familles

Mais il y a aussi, un autre silence, qui a considérablement renforcé celui du deuil et de la compassion, c’est celui de la culpabilité, diffuse et complexe.

En effet, ceux qui, ignorant les dramatiques conséquences finales, ont participé au tri lors des pendaisons de Tulle, ne fût-ce qu’en désignant «les indispensables aux activités civiques, administratives et économiques de la cité ».

Ceux qui ont eu la chance d’être désignés et de se trouver du bon côté, comme les «désigneurs», n’ont pas à rougir, mais on peut imaginer ce qui pèse sur les consciences et qui entraîne silence et volonté d’oubli.

Enfin, dans l’analyse spectrale du traumatisme, n’oublions pas celui ressenti par les tullistes en matière de justice.

« Plus le traumatisme est fort, plus le souci de justice devient important » C’est ce que déclare le ministre Henri Queuille, dans son discours à l’inauguration du monument de Cueille, le 1er novembre en présence de Léon Bossavy, alors Président fondateur du Comité des Martyrs:

«Etre fidèle à la mémoire des Martyrs, c’est avant tout vouloir le châtiment des chefs responsables d’une telle tragédie.»

Déterminer les responsables, punir les coupables est pourtant une nécessité.

Or pourquoi et paradoxalement, le procès de Bordeaux qui s’ouvre en 1951, mené contre les responsables SS n’a-t-il suscité qu’une complète indifférence nationale, alors qu’il a provoqué une légitime et grande émotion en Corrèze, plongeant tout particulièrement les tullistes dans une abyssale frustration.

Nous entamons actuellement la 3ème génération des familles de martyrs, (suppliciés et déportés). Elle nous conduit inexorablement à un apaisement des rancoeurs, des colères, estompant aussi douleurs et chagrins que remplacent le souvenir et la mémoire.

C’est pourquoi Il devient désormais particulièrement opportun de savoir assurer la transition entre le temps du deuil et celui de l’histoire.

Ce n’est que par une l’histoire factuelle, agrémentée d’une pédagogie adaptée et véhiculée par une mémoire générationnelle, que nous apporterons l’hommage éternel que méritent nos martyrs.