1. Le Contexte historique
La 2ème division Das Reich, en provenance du Front de l’Est, où pendant 3 ans elle a semé la terreur par une véritable méthodologie du massacre et de la barbarie,(1) arrive en France début 1944. Désormais sous les ordres du général Heinz Bernhard Lammerding,(2) après de longs mois de combat et des pertes importantes sur le Front de l’Est, elle établit ses cantonnements dans la région de Montauban afin de se reconstituer et se réorganiser en intégrant des hommes de toute nationalité qu’il faut former et «nazifier».
C’est dans cet esprit que, Himmler, bras droit d’Hitler, vient le 11 avril 1944 à Montauban pour galvaniser les troupes. Mais en parallèle de la formation idéologique et militaire de ces soldats, la Das Reich reçoit l’ordre du Haut Commandement Allemand de nettoyer la région de ses «terroristes», c’est à dire les maquisards particulièrement actifs dans le Sud Ouest et Centre Ouest de la France. Entre les mois de Mai et de Juillet 1944, les hommes de la Das Reich procèdent à de nombreuses expéditions à partir de leurs casernements afin de débusquer des Résistants.
Malgré l’imminence du débarquement, et selon les ordres reçus, rejoindre rapidement la Normandie n’est pas prioritaire pour la Das Reich.La priorité est le massacre des civils conformément aux ordres des 5 et 8 juin 1944. Les déportations et les fusillades de nombreux civils montrent qu’il s’agit de terroriser la population, notamment pour les dissuader de rejoindre le maquis.
Pour cela, les méthodes employées sont les mêmes que sur le front de l’Est: exécutions sommaires, pendaisons, pillages, incendies, rafles massives sous couvert de mensongers contrôles d’identité.(3) Au total,124 lieux d’exactions commises par la Das Reich dans le grand Sud-Ouest ont été recensés pour la période entre le 1er mai et le 16 juillet 1944
Face aux exactions continues des SS fanatisés de la Das Reich, et répondant aux instructions reçues de Londres, suite au débarquement, la Résistance intérieure intensifie ses actions de guérillas. C’est ainsi que dans ce contexte, à Tulle, le 7 juin vers 13h, après un échange de tirs entre les maquis FTP (Francs Tireurs Partisans) et soldats allemands, une partie de ces derniers pénétrant dans la gare, débusquèrent 19 gardevoies, qu’ils assassinèrent lâchement. 18 tués……un survivant dénommé Leblanc, qui s’est jeté volontairement à terre une fraction de seconde avant que ses camarades ne soient atteints par les tireurs allemands.
Le même jour vers 16h d’autres maquisards attaquent l’Ecole Normale d’Institutrices afin de déloger la garnison allemande qui s’y trouve avec plusieurs membres de la Gestapo.
La bataille fait rage des 2 côtés, mais il faudra attendre le lendemain vers 15h, où la violence des tirs et des bombardements des FTP, finissent par mettre le feu dans les combles du bâtiment qui se propagea aux étages, obligeant ainsi la garnison à se rendre, faisant de nombreuses victimes(40) et de nombreux blessés ennemis qui furent néanmoins évacués sur l’hôpital de la ville pour être soignés.(4)
La mission réussie, remplie par les FTP, laisse croire aux tullistes du quartier en liesse, que Tulle est libérée. Malheureusement, la joie est de courte durée. Ce même 8 juin vers 21h, deux détachements de la division Das Reich arrivent l’un du Lot par la route de Beaulieu, l’autre de Brive par la RN 89 qui borde ce qui allait devenir le Champ des Martyrs.
Elles pénètrent dans Tulle en faisant feu de toutes parts, surprenant les maquis FTP et AS qui ignoraient la progression et le cheminement de la division allemande en Corrèze. (5) Les éléments SS composant ces détachements, quadrillent les principales voies d’accès, isolant instantanément la ville de tout contact extérieur, obligeant les résistants en place, qui ne pouvaient lutter contre des véhicules blindés, à se replier en toute hâte.
2. L’Horreur et la Tragédie du 9 juin 1944 à Tulle
Le lendemain 9 juin 1944, dès les premières lueurs du jour, les SS entreprennent une rafle monstre dans toute la ville, qui se poursuit jusqu’en fin de matinée.
C’est près de 3000 hommes de 18 à 60 ans, appréhendés le plus souvent chez eux, au motif mensonger « nous suivre pour contrôle papiers », qui sont acheminés sur la place de Souilhac face à la Manufacture d’Armes de Tulle (MAT).
Vers 9h, les otages sont introduits par petits groupes dans l’enceinte de la MAT et partagés; une colonne à droite, une colonne à gauche. Cependant pour certains otages , interpellés ici ou là dans l’une ou l’autre des 2 colonnes, il leur est demandé sans ménagement par un officier SS, membre de la Gestapo, du nom de Walter Schmald de rejoindre une 3ème colonne, celle du milieu.(6) Ce sinistre individu à l’attitude inquiétante, prélève au gré de ses réflexes ou de ses humeurs, tel ou tel homme qu’il désigne d’un «vous!» menaçant pour aller grossir la file du milieu. Cette manoeuvre douteuse se prolonge jusqu’à 15h30 environ, pendant laquelle les interventions, les tractations, les transferts d’une colonne à l’autre se déroulent sous le regard intrigué et anxieux des otages.
La sentence injustifiée tombe. Il faut choisir 120 malheureux jeunes, trop jeunes pour mourir. Les isoler et les laisser dans l’ignorance du sort que leur réservent leurs bourreaux, souvent très jeunes eux aussi. Alors que Walter Schmald achève sa funeste mission, le commandant Kowatsch, un des plus hauts gradés présents sur place en l’absence de Lammerding, faisant fi des promesses faites dans la matinée aux autorités locales, ordonne vers 16h que des affiches(7) soient apposées dans la cité et que le haut parleur municipal diffuse la nature des représailles. C’est au prix d’ultimes et tragiques suppliques entre les représentants de la Ville, associés à l’abbé Espinasse et les autorités SS précitées, que 21 otages échapperont au supplice final, ramenant le nombre de 120 à 99 martyrs.
Il est environ 17h00 lorsque les otages « en sursis » regroupés sur la place de Souilhac par les Waffen SS sont contraints de devenir les spectateurs impuissants d’une tragédie préméditée et savamment orchestrée. Ils aperçoivent avec frayeur des cordes pendantes aux balcons des immeubles des rues environnantes ainsi qu’aux candélabres du Pont Neuf, baptisé depuis Pont des Martyrs.(8)
L’émotion est à son comble lorsque les condamnés par groupe de dix, mains liées derrière le dos, sévèrement encadrés, sont poussés inexorablement sur le chemin du sacrifice par des soudards de plus en plus excités. Sur les échelles, à l’approche des nœuds coulants, des tentatives de survie se produisent. Toutes furent vouées à l’échec.(9)
Pendant ce temps, des gradés SS et de nombreux soldats s’étaient attablés à l’ombre des marronniers du café Tivoli, situé face à la place de Souilhac. Ils trinquaient avec des bouteilles volées aux habitants, au son d’une musique délivrée par un gramophone en lutinant Paula Geissler dite « la chienne » Membre de la Gestapo, et parlant très bien le français, elle était l’interprète de Brenner,le directeur allemand de la Manufacture d’Armes Tulliste.
Dans l’affiche qu’ils avaient réalisée pour informer la population des pendaisons, les SS avaient précisé que les corps seraient ensuite « jetés dans le fleuve » (la Corrèze), sans inhumation.
Les services de la Préfecture, le Dr Ménantaud directeur départemental de la santé et le colonel Monteil délégué de la Croix Rouge, entament immédiatement des discussions avec les allemands qui, au bout d’âpres pourparlers, acceptent l’inhumation des corps en imposant qu’une fosse commune soit creusée au dépôt d’ordures ménagères de Cueille, situé à la sortie de la ville.(10) Les cadavres devront être ensevelis sans délai et anonymement, sans qu’aucune identification ne soit permise. Du côté français, on veut absolument donner un certain rituel respectueux à l’enterrement des suppliciés. Le Préfet Trouillé se déplace en personne vers le site de Cueille, tandis que l’abbé Espinasse(11) obtient un laissez-passer qui lui permettra de prononcer quelques prières au moment de l’ensevelissement.
Des «Feldgendarmes» déchargent les corps des camions multipliant les violences sur les cadavres en les tirant par les pieds et les jetant par terre. Encadrés par un important cordon de SS, les jeunes des chantiers de jeunesse creusent deux fosses puis placent les corps côte à côte par rangées de dix. et les ensevelisent recouverts de chaux vive et de terre.
Vers 22h, perturbée par des rires et chants allemands, une minute de silence est observée par le Préfet, son secrétaire général, complétée par les prières de l’Abbé Espinasse. Ces derniers quittent les lieux, alors que les jeunes des chantiers de jeunesse ne termineront ces douloureuses inhumations qu’aux alentours de 23 heures.
3. l’Après 9 juin
Le lendemain 10 juin, environ 500 otages en sursis, ayant passé la nuit dans les ateliers de la MAT, subissent une fois de plus, les tris arbitraires de Kowatsch secondé par le «pervers zélé» Walter Schmald. Environ 200 d’entre eux pourront rejoindre leurs familles.
Il en reste 311 qui nourrissent, en vain, l’espoir d’une libération. Embarqués dans des camions rassemblés dans la cour de la MAT, ces 311 otages sont entassés par groupe d’environ 30 par camion, direction Limoges pour un dernier tri avant la déportation d’une partie d’entre eux en Allemagne et dans les sinistres camps d’extermination.
L’ultime sélection de Limoges s‘effectuera les 11 et 12 juin. Les personnes libérées rentreront à Tulle le 12 juin. 149 n’auront pas cette chance et connaitront le train de la mort et l’enfer concentrationnaire. 101 ne reviendront jamais.(12 et 13)
La présence allemande se maintient à Tulle jusqu’à la mi-aout 1944. Elle empêche la population de pouvoir commémorer ses martyrs en interdisant de déterrer les corps des suppliciés pour procéder à une nouvelle et digne inhumation. Ce n’est qu’à partir du 17 aout 1944, date de la libération de Tulle par la reddition des forces d’occupation en place, que put être envisagée l’exhumation des cadavres enfouis dans le dépôt d’ordures de Cueille qui allait devenir le Haut Lieu de Mémoire et de Recueillement de Cueille. Les exhumations durèrent une semaine et se firent milieu octobre 1944.(14) Les corps qui étaient agglutinés et en piteux état, furent dégagés les uns des autres pour être placés dans des cercueils individuels.
Le 31 octobre 1944, veille de la Toussaint, les familles des Martyrs organiseront une cérémonie marquant la fin des exhumations, permettant ainsi la remise des cercueils à ces dernières.(15)
A la suite de quoi, une clôture viendra délimiter la zone à l’intérieur de laquelle se trouvaient les 2 fosses communes identifiées par 2 croix blanches (16)